Micro-faune

Le monde des insectes à côté de la maison

mars – avril 2020 confinement

Photographies de Thierry Karm

PRODUCTION ALEA - PARTENARIAT CPIE


Voici quelques unes des histoires que raconte la nature dans la prairie autour de ma maison, au coeur du Médoc, tout près de Lesparre, prairie que l'on fauche une fois par an et qui, le reste du temps se débrouille avec son peuple de garennes et de couleuvres. Et comme on est en bordure de forêt, les chevreuils au matin viennent parfois la visiter. Voir évoluer tout cela pendant deux mois, c'est se régaler de cette diversité, en témoigner, comprendre tout ce micro monde que les bêtises de l'homme ont tant abîmé. Nous avons cette chance incroyable qu'ici tout cela existe, subsiste. Patrimoine naturel éminemment précieux. Il faut aussi apprendre à regarder, apprendre à comprendre, et ainsi apprendre à respecter ces minuscules morceaux de vie.

 


L'inflorescence de l'ombellifère est encore fermée et très verte. Mais elle est bien droite sur sa tige en dépit de la brise matinale. Posée tranquillement dessus, probablement depuis la veille au coucher du soleil, la mouche s'est ornée de quelques grosses gouttes de rosée. Il fait encore frais. Quand le soleil aura commencé de réchauffer l'atmosphère, lentement, les gouttes disparaîtront, et elle pourra prendre son premier envol de la journée. Bourdonnement discret et zig zig zags furtifs. Les yeux rouges, les ailes encore grises, pour l'instant, elle patiente sans se soucier de l'animal bizarre qui s'approche pour lui tirer le portrait.

 

Un peu plus loin, entre les délicates et frêles fleurs de lin qui s'ouvrent ainsi chaque matin pour se refermer le soir, une mélitée du plantain elle aussi attend et se sèche au bout d'une tige, la tête en bas, juste sous la fleur de cumin des prés. Pas davantage de mouvements. Il faut patienter, se réchauffer, battre un peu des ailes, comme pour essayer. Enfin, décoller. Mélitée ou Nacré ? Les différences sont tellement subtiles, et contribuent ainsi à construire toute la beauté de ce petit monde. La couleur de la marge chez l'une, la forme des taches chez l'autre. Trois fois rien, au point que ce n'est qu'après, en regardant les images, qu'on commence à saisir ces subtilités. Avez-vous déjà regardé de près les dessins des ailes du vulcain ? Une merveille. Les couleurs sont vives, les dessins formés par les tâches sont d'une subtilité que seules les enluminures des manuscrits du moyen âge ont pu égaler.

 


L'araignée crabe, rose comme une guimauve, reste serrée entre les pétales. Elle rêve peut-être aux proies qu'elle tentera de prendre aujourd'hui. Mais une araignée rêve-t-elle ? Elle n'est pas du genre à s'encombrer d'une toile comme l'épeire. Ses modes de chasses sont brutales, rapides : tapie entre les inflorescences, quasi invisible, elle se jette en une fraction de seconde sur la mouche qui vient chercher le sucre entre les pétales. Une fraction de seconde : ça marche ou pas. Mais quand la proie est prise, l'araignée ne lâche plus. Dans la journée invisible, la toile de l'épeire saute aux yeux dans le pré plein de rosée. Le contre jour révèle une enfilade géométrique et régulière de fines perles.

 

La sauterelle verte, après plusieurs mues, commence à peine de développer ses ailes. Elles sont encore ridiculement petites, et, toute la journée, elle sautera de tige en tige, grimpera et redescendra. Puis remontera et changera de monture. Ce matin, elle accepte de se faire photographier. Dans un premier temps, m'ayant repéré, elle se tourne bien derrière la tige, comme pour me narguer, pour se mettre en tout cas en position de défense. Puis elle s'habitue et, cabotine, pose les pattes de devant, négligemment, de chaque côté de la tige. Je tourne autour pour trouver le meilleur angle, la meilleure lumière. Flash. Elle est dans la boîte. Je la remercie à voix haute et continue ma quête.

 

La cétoine grise, velue à souhait, a enfermé soigneusement les gouttes si fines et si nombreuses qu'on distingue à peine cet insecte d'habitude si visible et si impassible.

 

Le cercope sanguinolent a formé des amas d'une sorte de bave sous les feuilles pour y pondre ses larves. Il est maintenant au repos dans sa livrée rouge et noire.

 

Les véroniques de perse qui ont fleuri, les orchis bouffon et, rareté, les orchis blancs font des taches vives dans tout ce vert. On est fin mars. Les orchis brillent sous une couche de givre.

 


 

En avril, les graminées sont hautes désormais, offrant de multiples cachettes au peuple discret des insectes. Et le photographe rentre parfois bredouille. Mais, quand la chance lui sourit, quel plaisir pendant ce printemps confiné de recevoir tous les jours ces cadeaux colorés, lestes et parfois espiègles. Ce ne sont pas les photos qui sont belles. C'est dame nature. Tout au long de ce mois et demi, le nombre d'espèces a varié.

 

D'abord, des tipules en pagaille, volant d'herbe rase en herbe rase. Quelques toutes petites sauterelles et des charançons à moitié cachés dans les boutons d'or. Des éristales en pagaille. Des araignées minuscules. A mesure que les herbes prennent de la hauteur, apparaissent les cantharides rousses, quelques coccinelles. Les punaises du chou, en nombre et copulant dans les fleurs de moutarde ou de ravenelle. Au milieu des abeilles qui butinent les trèfles incarnats, le mystérieux grand bombyle pratique le vol stationnaire. Etonnant. Premier papillon aperçu, le sphynx mauresque avec ses deux virgules jaunes dans les ailes. Il se cache au bas des herbes, et à l'approche de l'intrus, file quelques mètres plus loin. Mais il lui faut éviter la toile efficace de l'épeire diadème qui guette.

 


 

 

Tiens ! Un charançon endormi, entièrement contenu dans une grosse goutte. Comme vit-il ainsi ? Il faudra tenter de se renseigner.

J'ai croisé un cardinal sur une fleur de polygale. Rouge vif et mauve tendre. Une splendeur. Photo ratée, cardinal envolé...

 

Mi avril, la guêpe a fait son nid entre les muscaris à toupet et a pondu.Sur presque chaque bouton d'or, lovés entre des pétales, les oedémères nobles se régalent du pollen et leurs élytres vertes rutilent sous le soleil non loin des dames d'onze heures qui sont encore à demi fermées. Alors que les papillons de plus en plus nombreux volettent un peu partout, se posent, butinent et reprennent leur course, dans la forêt à côté les chenilles dhyponomeutes se suspendent en groupe à leur soie, sous le saule qu'elles ont déjà bien fait souffrir. Spectaculaire assemblage grouillant, montant et descendant sur cette si fine cordelette. Verrai-je les transformations successives jusqu'aux papillons à la mi-juillet ? Les plages sont rouvertes au public. Et les gens qui s'y promènent, vus du haut de la dune, font un peu penser à la prairie et à ses habitants. Sans doute la même fragilité.

 

 

Lesparre Médoc, le 19 mai 2020

 

Thierry Karm

Première chez JM Bertet aquaculteur, marais du conseiller Le Verdon sur mer. https://www.jmbertet-aquaculture.fr/

Installation Pique Nique du Pnr Médoc septembre 2020

https://www.pnr-medoc.fr/